ISTANBUL


…Sur le versant opposé du souvenir, rayon pessimisme, il reconnaît ce jeune Français désabusé. Parti pour l’Inde à dix-huit ans mais bloqué à Istanbul depuis trois années, l’Infortuné subissait les entraves d’une rencontre malencontreuse pour lui, celle de l’opium. Non content de le fumer, l’Asservi en pratiquait un usage détourné. D’injection en injection la dépendance s’était installée. Outre l’accoutumance le danger consiste, en ce mode d’utilisation, à la présence possible de poussières dans le produit brut. Quelles que soient les précautions prises lors de sa préparation, la menace ne peut être conjurée. L’organisme, soumis à l’agression de ces résidus, subit une insoutenable sensation de brûlure, comme si le feu coulait dans ses veines. C’était, pour cet être captif, papillon épinglé au clou de la seringue, la dure rançon à payer pour l’obtention d’un plaisir qui de jour en jour s’amenuisait alors que les doses, elles, augmentaient. Autre tribut à supporter, celui de l’affliction. Chaque jour il croisait de nouveaux voyageurs en route vers le mythe oriental. Parfois même, l’Affligé voyait revenir ceux qu’il avait vus partir un ou deux ans plus tôt. Quant à lui, incapable de réagir, inscrit dans les arcanes d’un modeste trafic qui lui procurait à peine le minimum nécessaire pour subsister et assouvir sa dépendance, il ne pouvait ni poursuivre son chemin ni rentrer au pays. La mort dans l’âme le Sédentaire assistait, impuissant, à cette joyeuse migration dont l’opium l’avait exclu.
La Silhouette avait su éviter ce piège. Sans doute pressentait-elle que……….


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